Les tables de Pierre Paulin
Paris, France

Pierre Paulin, designer de la modernité et de l’élégance française qui connaissait le vocabulaire des styles, affirmait sans détour qu’il avait « horreur du dur ». Il parlait en l’occurrence des murs et des cloisons des lieux d’habitation ou de réception.

Ses assises les plus fameuses (Oyster, Langue ou Tulipe), mais aussi les salons de l’Élysée ou les endroits dont il s’occupa s’organisent souvent en cellules textiles d’une grande douceur ; il s’intéressa de près aux tapis comme « lieu de vie » et travailla avec brio le souple et l’enveloppe- ment des corps. Que dire alors de cette pièce mobilière qu’est la table, objet a priori en dur, car elle est support ? Pierre Paulin en dessina de nombreuses tout au long de sa carrière. Elles prennent des formes très différentes, souventmarquées par les périodes et les matériaux.

Quand Pierre Paulin commence sa carrière, après la guerre, il regarde vers le Nord et sa modernité simple et honnête. Le bois, matériau le plus simple et pourtant peu abondant, structure cette vision. Elle passe par des dessins sobres et élégants. La notion d’équipement semble ici primordiale : le designer pense, d’une part, des rapports aux fonctions précises pour le monde professionnel et ses bureaux et, d’autre part, anticipe l’élargissement des usages et des habitudes domestiques en développant des secrétaires élégants et des tables basses pratiques.

C’est avec les évolutions vers de nouveaux matériaux que le designer bouture la tradition nordique de ses débuts avec la souplesse et la fluidité des plastiques ou des fibres de verre… C’est là qu’il courbe et instruit l’alliance de la modernité et du motif : en utilisant le verre pour les plateaux, Paulin révèle que, structurellement, piètement et motif peuvent s’interpénétrer et que le décor ne s’appose pas sur la table mais en devient consubstantiel. Ce faisant, il bouleverse, en moderne, la tradition décorative française et rapproche ce langage de celui de l’architecture. Une marche vers le piètement comme « pièce » s’organise. Il ne s’agitplusseulementdupiedcentralquisuffisammentéqui- libré soutient un plateau et est caché par lui, mais au contraire de la révélation de cette architecture essentielle qui organise la stabilité d’une table.

C’est peut-être ici que l’on peut relier à ce travail, à travers la fluidité des procédures qui associent dessins et matériaux, la souplesse textile chère à Paulin. Bien souvent chez
un créateur une idée en amène une autre, mais avec Pierre Paulin les périodes semblent séquencées et presque séparées au premier regard et les procédés parfois diamé- tralement opposés. Ce n’est qu’en partie vrai : on voit dans les passages d’une période à une autre la limpidité de ses logiques constructives. Les tables sont une émanation à la fois fluctuante et insaisissable des jeux auxquels s’est adonné le créateur : la table est un pilier central des cultures et c’est ce que raconte en creux le travail de Pierre Paulin.

Catherine Geel